Rencontre avec Olivier Morel, restaurateur du patrimoine
Publié le 16 septembre 2024
Restaurer les Moulins de la Manufacture : un patrimoine industriel en mouvement
Olivier Morel, restaurateur d’objets d’art, a relevé le défi de remettre en fonctionnement les moulins classés de la Manufacture de tabacs de Morlaix. Découvrez son approche déontologique et les défis techniques auxquels il a été confronté pour redonner vie à ce patrimoine industriel unique, en étroite collaboration avec les anciens ouvriers du site.
Quels étaient les grands enjeux de votre mission à la manufacture ?
La salle des moulins, classée Monument Historique, et les machines conservées par l’Espace des sciences, grâce à l’intervention des anciens de la Manu, constituent un patrimoine industriel rare, qui n’a pas toujours bénéficié de l’attention qu’il mérite. Il s’agissait pour moi de remettre en fonctionnement une partie des moulins, avec la chaîne de production (noria, vis sans fin…), sans modifier les mécanismes ni risquer d’endommager les machines par des traitements non appropriés. J’ai donc appliqué les principes et la déontologie de la restauration d’objets d’art : interventions minimales respectant les objets conservés et les éléments de leur histoire, et en me contentant de les adapter pour leur remise en fonctionnement, avec toutes les précautions nécessaires.
Le projet présentait-il des particularités ?
La remise en état des moulins est une particularité majeure de ce projet : il s’agit de leur permettre de fonctionner à nouveau pour proposer des démonstrations au public. Les moulins s’insèrent dans un environnement architectural particulier : il faut prendre en compte l’ensemble de la salle, tous les systèmes mécaniques que l’on ne voit pas forcément, mais qui permettent aux noix des moulins de tourner. Le nombre de machines qui servaient aux différentes chaînes de production et qui seront exposées est également important. Il fallait les traiter et tenter de les faire fonctionner pour pouvoir les filmer en mouvement.
Quelles démarches et techniques avez-vous adoptées ?
Il fallait tout d’abord dégager la corrosion qui s’était développée sur tous les moulins et l’ensemble de la salle, après l’incendie et l’arrêt des machines. Ensuite, j’ai dû retirer le vernis qui avait été appliqué, et qui, progressivement, laissait la corrosion se développer en dessous.
La démarche a consisté à commencer par le nettoyage de toute la salle et de ses machines, effectué par gommage et brossage. Une première couche de protection a été posée immédiatement. Un brossage et une nouvelle protection ont été réalisés à nouveau à la fin du chantier.
La remise en marche des machines a nécessité, après nettoyage de tous les composants et mécanismes, de procéder avec beaucoup de prudence pour éviter tout dommage sur ce patrimoine et ses particularités techniques.
Avez-vous rencontré des difficultés particulières ?
L’ampleur du travail, tout d’abord, était considérable. Avec ma collègue Galateia Kriezi, nous avons passé plus de deux années sur le chantier. Certains points ont été délicats : il a été nécessaire de refaire les éléments manquants des machines ou de leur environnement (rambardes…). Il nous fallait respecter les mécanismes anciens, et seule l’une des pièces d’engrenage de la noria (dans la salle des moulins) a dû être refaite.
L’articulation avec l’ensemble du chantier de rénovation nous a obligés à protéger, puis à revenir à plusieurs reprises sur les mêmes pièces et éléments.
Comment avez-vous perçu le patrimoine social, technique et architectural de la Manufacture ?
Il est très intéressant de pouvoir restaurer ces machines alors que ceux qui les faisaient fonctionner ou les entretenaient sont encore prêts à fournir renseignements, explications, remarques et conseils. Cet ensemble exceptionnel permet de comprendre le rapport à l’outil de travail, ainsi que la connaissance remarquable des ouvriers et cadres de la Manufacture de ces machines, de leur valeur en tant qu’outil de production.
Le travail de restauration qui a été réalisé à Morlaix a pu se faire dans d’excellentes conditions grâce à la contribution de personnes qui ont autrefois travaillé à la Manufacture des tabacs.
Monsieur Michel Daniel, chef d’atelier, a pu nous mettre en relation avec Monsieur Lenay, qui a eu en charge précisément les moulins à râper le tabac. Monsieur Lenay m’a permis de mieux comprendre le fonctionnement général des moulins et, lors de la mise en route de ceux-ci, il a pu évaluer la vitesse de rotation adéquate et m’apporter énormément de détails quant au fonctionnement des moulins dans la manufacture.
Monsieur Beuzit, responsable de la maintenance des machines à fabriquer les cigares et cigarettes, est également venu grâce à Monsieur Daniel. Au moment où nous étions en train de restaurer les machines à fabriquer les cigares, la restauration étant terminée, il a pris le relais pour effectuer les réglages et les réparations nécessaires à leur fonctionnement. Il a pu transmettre beaucoup d’informations à l’équipe de gestion du lieu sur le bon réglage de ces machines.
Nous avons donc eu la grande chance de bénéficier de l’aide des anciens responsables techniques, qui nous ont permis d’éviter tout contresens. Grâce à ces discussions, nous avons aussi pu mesurer l’importance de ces outils de production dans les relations humaines.
À travers ces machines et leur fonctionnement, on appréhende les éléments de base de la mécanique qui a marqué des siècles de production industrielle. Aujourd’hui, dans la production, on ne « voit » plus rien : la relation à la mécanique est devenue très abstraite. Morlaix est l’un des derniers sites ayant conservé son outil de travail. Il y a aussi toute la manière dont cet outil technique génère des relations de travail, de société, etc. C’est pour moi un très grand atout et présente un des intérêts majeurs de ce patrimoine industriel, qui me passionne.
Olivier Morel est restaurateur d’objets d’art avec une expertise reconnue dans la conservation des métaux et des matériaux variés. Après une formation en micromécanique et un master en conservation et restauration du patrimoine, il a élargi ses compétences dans des domaines tels que l’électronique, la fonte et le bois. Intervenant sur des collections allant de la Renaissance à l’art contemporain, Olivier Morel travaille pour des institutions prestigieuses comme le Louvre, les châteaux de Versailles et Fontainebleau, le musée de l’aviation du Bourget et la Bourse de commerce – musée Pinault. Reconnu pour son approche déontologique, il privilégie une intervention minimale pour préserver l’intégrité des collections et leur histoire.