Rencontre avec Michel Cabaret, directeur de l’Espace des sciences

La science ne vaut que si elle est partagée

Michel Cabaret, directeur de l’Espace des sciences, nous rappelle la genèse et les ambitions du nouvel établissement à Morlaix.

L’Espace des sciences à la Manu contextualise la culture scientifique, technique dans un site industriel patrimonial qui s’est développé grâce aux inventions des ingénieurs. Il appréhende les dimensions culturelles de la science et des techniques en saisissant la dynamique de leurs évolutions avec leurs dimensions humaine et sociale. Véritable palais de l’industrie, la Manu a été édifiée au siècle des lumières, un mouvement philosophique qui se proposait de faire connaître les idées des grands savants, de lutter contre l’obscurantisme, en vulgarisant la connaissance scientifique, de « rapprocher les découvertes et les ordonner entre elles afin que plus d’hommes soient éclairés et que chacun participe à la lumière de son siècle » (Denis Diderot -1747, période de la construction de la Manu).

L’Espace des sciences a ouvert un établissement à Morlaix au cœur de la Manufacture des tabacs. Comment ce projet est-il né ?

Ce fut une longue aventure ! 2024, année de son inauguration à Morlaix, est aussi celle l’anniversaire des 40 ans de l’Espace des sciences. Né à Rennes en 1984, l’Espace des sciences est installé aux Champs libres. Notre relation avec la Ville de Morlaix date de 2005. Avec le regretté Yves Laurent, chimiste, élève d’Hubert Curien, j’avais rencontré, Michel Le Goff puis Agnès Le Brun, anciens maires de Morlaix. C’est ainsi que des conférences et animations lors de la fête de la science furent lancées. Cette coopération se poursuit toujours avec l’organisation, un mercredi par mois, de conférences scientifiques.

C’est après une rencontre en 2010 avec Yvon Hervé, Président de Morlaix Communauté et sa Vice-Présidente en charge de la culture, Annie Loneux, que nous avons imaginé la conception de ce nouveau centre qui répondait en tous points aux cibles d’un grand appel à projet national lancé par l’État. Notre projet, lauréat de ce programme des investissements d’avenir, avec une dotation inespérée, a été guidé avec un intérêt constant par un comité scientifique présidé par Bernard Chevassus-au-Louis et avec le soutien de l’Agence Nationale de Rénovation Urbaine (ANRU) dont les cibles étaient : favoriser l’égalité des chances par la transformation de la pédagogie des sciences pour démocratiser les savoirs en consolidant les réseaux d’acteurs, en favorisant l’intelligence collective, en donnant une impulsion nationale par une appropriation régionale.

Quatre présidents de Morlaix Communauté vont se succéder avec lesquels nos échanges furent nombreux et fructueux. Je remercie Yvon Hervé, Jean-Luc Fichet, devenu Sénateur du Finistère, Thierry Piriou et Jean-Paul Vermot, aujourd’hui Président de Morlaix Communauté et Maire de Morlaix. L’aide de la région Bretagne avec l’implication sans faille de son Président, Loïg Chesnais-Girard et ses Vice-Présidents successifs, Bernard Pouliquen puis Olivier David, consacre l’ancrage territorial et en fait l’un des grands projets régionaux. Il convient ici de souligner le dynamisme du Pôle Bretagne culture scientifique qui regroupe tous les acteurs de la culture scientifique. Le conseil départemental du Finistère puis la Fondation du patrimoine viendront compléter les financements. Ce nouvel Espace des sciences morlaisien va contribuer à l’éducation aux sciences, un sujet pleinement appréhendé par l’Académie de Rennes et son Recteur, Emmanuel Éthis, militant infatigable de la promotion de l’Éducation artistique et culturelle (EAC) et de la culture scientifique.

Vous évoquez souvent l’importance de l’association avec son conseil d’administration, son comité scientifique et ses professionnels.

La base associative sur laquelle est fondée l’Espace des sciences est extrêmement précieuse ; je veux mentionner les regrettés Étienne Guyon (ancien directeur du Palais de la découverte et de l’École normale supérieure, rue d’Ulm) et Daniel Bideau, physicien, enthousiaste dès lors qu’on évoquait la diffusion de la culture scientifique. Daniel était Président du Comité scientifique de l’Espace des sciences de Morlaix et attendait le moment de l’ouverture à Morlaix avec impatience… nous pensons bien à lui ! Je rends hommage également à tous les membres actuels du Comité scientifique de Morlaix, présidé par Catherine Boyen, directrice de la Station biologique de Roscoff, un centre de recherche international. Mention spéciale enfin pour Jacqueline Goy, « Madame Méduse », notre première conférencière à Morlaix. Ils sont tous impliqués dans notre fonctionnement, on ne les remerciera jamais assez.

Deux personnalités ont rejoint l’association à l’issue de leur mandat d’élus, ils seront constamment à mes côtés durant toute la période de mise en œuvre de ce travail complexe : Annie Loneux et Bernard Pouliquen, aujourd’hui Vice-Présidents de l’Espace des sciences.

L’Espace des sciences c’est une équipe professionnelle, et ici à Morlaix, qui en est la cheville ouvrière, c’est tout d’abord Marie-Laure Brandily, docteur en chimie, brillante lauréate du prix Bretagne jeune chercheur. Marie-Laure est responsable du site de Morlaix, elle assure la coordination et l’animation de ce travail d’équipe avec le sérieux et l’énergie qui la caractérisent. L’équipe morlaisienne est aujourd’hui en place et travaille en parfaite coopération avec celle de Rennes.

Quels sont les travaux de restauration et de muséographie qui ont été réalisés ?

Pour redonner tout leur éclat aux bâtiments de la Manufacture, classés Monuments Historiques et édifiés au siècle des Lumières (un symbole prémonitoire pour l’Espace des sciences), plusieurs talents ont uni leurs efforts :

• Opus 5, cabinet d’architecture spécialisé dans les monuments historiques, a pris en charge le gros œuvre.

• Audrey Tenaillon et Laurence Chabot ont assuré la scénographie et la muséographie.

• Olivier Morel, grâce au savoir transmis par d’anciens ouvriers, a restauré et remis en mouvement les machines, notamment les extraordinaires moulins à râper.

• L’artiste Patrick Michel, concepteur d’étoiles, nous transporte dans l’univers féérique du Jardin des planètes, enrichi par l’écho de la voix du regretté astrophysicien Hubert Reeves, ami de l’Espace des sciences.

Enfin, des entreprises talentueuses ont conçu les dispositifs multimédias, les “manipes” interactives et les objets connectés, enrichissant l’expérience des visiteurs.

La Manufacture des tabacs de Morlaix est un lieu emblématique. En quoi ce site constitue-t-il un atout pour le projet de l’Espace des sciences ?

Ce lieu historique, témoin de 250 ans d’activité industrielle, s’est révélé être un cadre idéal pour accueillir un centre de diffusion de la culture scientifique, technique et industrielle. La Manufacture des tabacs, avec son architecture classique du XVIII^e siècle et son histoire industrielle, apporte une dimension patrimoniale unique. C’est un lieu de mémoire qui incarne l’évolution de l’industrie, depuis les premières machines à vapeur jusqu’à l’électrification des procédés de fabrication. Ce riche patrimoine industriel, encore présent sur le site grâce aux anciens de la Manu, comme les moulins à râper le tabac, permet de faire le lien entre le passé et les innovations technologiques actuelles.

Paqueteuse RUP de 1930, exposée dans la salle Des machines et des Hommes de l’Espace des sciences de Morlaix, 2024

Notre ambition est de donner vie à cet héritage. La science nous permet de comprendre le monde : la matière, le temps, la vie, la société, ce que nous sommes, d’où venons-nous, quelles sont les origines de l’univers. Si l’homme est un éternel curieux, il a aussi développé l’industrie et la technique.

Les Manufactures sont l’apothéose de cette culture industrielle, de cette culture de la main et des machines. À l’image de celle de Morlaix, elles témoignent des grandes étapes qui ont conduit à une révolution industrielle marquée par l’automatisation.
Comment l’adaptation des machines et l’évolution des surfaces d’exploitation ont-elles répondu à l’évolution des besoins de productivité et de compétitivité ? Comment l’activité industrielle de cette Manufacture a-t-elle suivi l’évolution sociale et comment a-t-elle interagi avec elle ? Quels sont et quels seront les futurs de l’industrie, ici à Morlaix, en Bretagne ?
L’Espace des sciences dans la Manufacture est un modèle unique et singulier. En effet le cadre patrimonial de la Manu a permis de développer des activités de culture scientifique et technique. Comme l’a écrit Dominique Ferriot, ancienne directrice du Musée des Arts et Métiers, dans la revue du Palais de la découverte, citant le programme mis en place par l’Espace des sciences de Rennes dans l’ancienne manufacture des tabacs de Morlaix « des initiatives nouvelles mettent en lumière une relation féconde entre une approche patrimoniale et le développement d’activités de culture scientifique et technique pour tous les publics ».

Vous évoquez un lien fort entre patrimoine et innovation. Quelle nouvelle dimension apporte ce centre à Morlaix ?

Nous nous ouvrons à un nouveau champ, celui de la culture industrielle. Relier entre elles les cultures scientifique, technique et industrielle est au cœur de notre projet. C’est un prolongement naturel de nos missions, car l’industrie et la technique sont des composantes essentielles des sciences. Nous voulons montrer comment l’innovation technique influence la société et notre quotidien, tout en rappelant les grandes étapes de l’évolution industrielle.

Votre objectif premier est de toucher un large public. Comment comptez-vous rendre ces savoirs accessibles à tous, notamment aux jeunes générations ?

Nous espérons toucher un large public, des scolaires aux familles, et éveiller une conscience plus aiguisée sur l’importance des sciences et techniques dans la compréhension du monde qui nous entoure. L’accessibilité est au cœur de notre démarche. Nous avons conçu des espaces interactifs et immersifs afin que chacun, quel que soit son âge et ses connaissances, puisse s’approprier les contenus que nous proposons. L’objectif est de rendre la science ludique et compréhensible, notamment à travers des ateliers, des expositions, et des dispositifs pédagogiques adaptés. Nous voulons que les visiteurs, en particulier les jeunes, repartent avec des étoiles dans les yeux, enrichis d’un savoir qui les accompagnera dans leur réflexion sur le monde.

L’atelier, un espace de découverte et d’apprentissage pour toute la famille.

L’une des singularités de ce projet est d’encourager la curiosité par une démarche d’observation donnant lieu à un questionnement. Ainsi la salle des machines, grâce à des dispositifs de médiation, permet aux visiteurs d’observer et de comprendre les principes mécaniques de ces machines anciennes.

Quels sont les prochains défis pour l’Espace des sciences de Morlaix ?

Le premier défi est de continuer à innover et à proposer des contenus attractifs. Dès l’année prochaine, nous enrichirons notre parcours scénographique avec une grande exposition temporaire « Grande vitesse ferroviaire » élaborée à Rennes et grâce à un partenariat avec l’Académie des technologies, le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) et l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) en Bretagne pour travailler sur les futurs de l’industrie.

Quels sont les premiers retours du public ?

Trois mois à peine après l’ouverture au public, nous avons dépassé tous les objectifs que nous nous étions fixés. Aujourd’hui c’est déjà plus de 20 000 entrées. Le public est nombreux, enthousiaste, les questions fusent auprès des médiateurs scientifiques, les yeux pétillent. Les regards se portent sur le Jardin des planètes, les Moulins à râper en action, l’histoire du tabac et de ses méfaits, les Roches armoricaines et la géologie, le pendule de Foucault qui prouve que la terre tourne sur elle-même, le globe terrestre interactif, et dans L’atelier, les secrets de la mécanique à l’attention des jeunes.

J’ai perçu lors des premières visites avec les anciens de la Manu la fierté des morlaisiens de redécouvrir la Manu et son histoire.
En lisant avec intérêt Le journal des arts paru cet été j’ai découvert un magnifique article où L’Espace des sciences de Morlaix est qualifié de « Chapelle Sixtine de l’ère industrielle ». Et dans le même esprit et pour revenir à l’essentiel, je voudrais citer le physicien Maurice Levy, fondateur de la Cité des sciences et de l’industrie, « La science, c’est-à-dire la réalisation du désir éternel de savoir et de comprendre, est sans doute l’un des destins les plus spécifiques, les plus nobles et les plus excitants de l’aventure humaine. Faire comprendre cet accomplissement extraordinaire, est une tâche aussi importante que celle qui consiste à présenter au public les œuvres les plus significatives de la création artistique, cette autre poursuite fascinante du génie de l’homme.»

La science ne vaut que si elle est partagée !

Michel Cabaret est directeur de l’Espace des sciences, centre de culture scientifique qu’il a fondé et qu’il dirige depuis 1988. Biologiste de formation, il est diplômé de l’Université de Rennes en biologie et éco-éthologie, où il s’est spécialisé dans la biologie des sols.

En parallèle de ses fonctions à l’Espace des sciences, Michel Cabaret est un vulgarisateur scientifique reconnu, chroniqueur pour France Bleu Armorique et Ouest France. Il est directeur de publication de la revue Sciences Ouest et d’une collection d’ouvrages de vulgarisation pour enfants et adultes. Michel Cabaret est aussi coordinateur régional de la Fête de la science.

Récompensé par plusieurs distinctions, dont le Grand prix de l’information scientifique de l’Académie des sciences, il se distingue par son engagement à rendre la science accessible et inspirante pour tous.

Ressources
Discours de Michel Cabaret pour l’inauguration de l’Espace des sciences de Morlaix

Des étoiles plein les yeux ou La fabuleuse histoire de l’Espace des sciences

Écrit par Michel Cabaret, le livre raconte l’histoire, à la fois de l’Espace des sciences et la sienne, tant elles se confondent depuis qu’il l’a créé voilà près de 40 ans.

Auteur(s) : Michel Cabaret
Éditeur : AR collection éditions
Année : 2023
Nombre de pages : 120 pages
ISBN : 978-24-93-29-40-36